Auteur - Essayiste​
Extraits de FONDATIONS, Tome 1 de De la Théogonie à l'Agonie
« À la mémoire qui se retourne vers le passé se lie nécessairement l'attention qui se porte vers l'avenir. Qui oublie ce qu'il commence saura-t-il comment il peut finir? »
Saint Augustin
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Nulle parole autre que ces quelques mots de Saint Augustin n'aurait pu mieux qu'ils ne le font se faire impitoyable miroir nous renvoyant en pleine face obligations oubliées et reniements, nous révélant implacablement l'inéluctable destinée de l'Occident Chrétien.
Faute de n'avoir plus tôt regardé par dessus notre épaule, sans cesse affairés à satisfaire nos désirs consuméristes, nous n'avons su ou voulu éviter tous les pièges qui nous furent tendus sur le chemin de l'apparente facilité et du confort, et dans lesquels nous préférâmes, et préférons encore, voir autant de promesses de liberté individuelle qui ne saurait par nature s'accommoder d'une quelconque Morale Supérieure. Pas après pas, marcheurs consentants sur ces pavés de bonnes intentions, troquant notre statut d'homme libre contre celui d'animal domestique, nous nous sommes laissé, pendant que nous étions invités à détourner nos yeux de la réalité au profit de nos portables et de nos écrans déversant en boucle inculture et bien-pensance, déposséder de notre civilisation millénaire, de nos valeurs, de notre culture, de notre humanité. Fallait-il donc, pour acheter le progrès, que fût vendue notre âme?
Il nous faut donc oser ce voyage dans le temps, lui seul pouvant nous livrer objectivement les raisons de notre présente situation, au risque de découvrir que, pour avoir laissé complaisamment, ou à tout le moins passivement, se dérouler l'enchaînement des événements, l'avenir dont nous pouvions rêver est déjà enfui et celui dont nous ne voulions pas déjà là. Il nous faut l'oser, car si demeure encore un espoir, c'est dans cette mémoire du temps que nous le trouverons, même s'il est à craindre que le prix de l'espérance que puisse un jour renaître notre civilisation ne soit déjà plus dans nos moyens, à supposer que de plus les peuples concernés aient encore le désir de l'acquitter, préférant la soumission au nom d'un pacifisme geôlier au combat pour la liberté et des sacrifices qu'il impose. Il nous faut l'oser, enfin, ne serait-ce que pour refuser le silence, se taire n'ayant de sens et de valeur que si d'abord on a parlé.
Devant les leçons de l'Histoire il est inutile de fuir. Bien sûr cette Histoire pouvons-nous l'ignorer, n'y voir que parchemins jaunis écrits hier par d'inutiles témoins et adressés par delà les siècles à de tout aussi inutiles passéistes nostalgiques, ou même, lorsque ce qu'elle nous lègue ne nous satisfait pas, oser la réécrire, ou, pour employer la sémantique des révisionnistes médiatiquement fréquentables, la déconstruire. Mais tout cela est illusion : la nature humaine n'ayant au cours du temps jamais changé, le futur ne peut qu'être un perpétuel retour du passé, et l'Histoire de ce fait éternellement actuelle.
Car l'Histoire, avant d'être mémoire et livres du passé, s'écrit toujours au présent, avec la plume trempée dans la sueur, le sang et les larmes de ceux qui la font, que ceux-là soient en ce monde nobles ou plébéiens, illustres généraux ou anonymes fantassins, bâtisseurs de cathédrales et de temples de gloire ou destructeurs de murs de la honte, avant que d'être écrite par l'encre de ceux qui témoignent. Elle ne s'écrit jamais avec ceux qui, devant les cruciaux événements se déroulant à leur porte, préfèrent détourner le regard ou garder le silence, comme s'il suffisait de fermer les yeux sur la mort qui vient pour demeurer en vie, comme s'il suffisait de ne pas choisir de camp pour ne pas finir dans celui des vaincus. Que donc nos âmes nostalgiques se nourrissent sans compter de l'écho des voix des Sages du passé, de la grandeur des Chevaleries et du fracas des armes qu'exige la liberté, de poésies courtoises et de cris de ralliement, de l'émotion ressentie dans une nef de cathédrale ou devant une pyramide millénaire. Mais si, après avoir vibré à l'évocation d'épopées et de légendes d'autres temps et même d'autres lieux, perdus dans la contemplation de civilisations aujourd'hui disparues, nous ne levons les yeux des ouvrages-mémoire pour oser affronter la disparition de notre propre civilisation, l'intérêt que nous pourrions porter au passé ne serait alors qu'un refuge abritant notre déni, implicite aveu par une telle attitude d'avoir déjà choisi le camp des vaincus. Personnellement, bien qu'admirant ce que furent de telles civilisations, il m'indiffère assez que Sumer ou l'Égypte ancienne ne soient plus que ruines et vestiges. Il ne m'indiffère pas que s'efface la mienne. En toute chose Chronos est le maître nous dictant les urgences : le temps d'écrire sur les civilisations disparues n'est plus, il nous reste à peine le temps d'écrire sur la nôtre, avant que d'autres ne le fassent, comme le fait tout vainqueur à l'égard du vaincu dans une langue à ce dernier bien souvent étrangère.
Passé entre les mains de ceux que nous nommions encore instituteurs, qui donc instituaient avant que la sémantique idéologique ne les rebaptisât professeurs des écoles et qui par conséquent, depuis, professent ; instruit dans des écoles où, bien que républicaines, nous apprenions que notre Histoire connut de grands rois, où, bien que publiques, l'approche de Noël n'interdisait pas que fût évoquée la naissance du Christ ; ayant grandi à une époque qui n'empêchait nullement qu'ici où là puissent apparaître quelques crèches en dehors des lieux de culte sans que personne ne s'en offusquât, enfant d'une génération qui connut de sombres heures et paya le tribut que l'on sait afin que la France ne devienne province nationale-socialiste et recouvre frontières et liberté, je ne fus en rien préparé, par ce parcours à l'époque ordinaire dans une société où le mot autorité avait encore un sens, à l'idée que puisse, en quelques décennies, mourir mon pays. Et préparé, je ne le suis toujours pas.
N'allons pas croire que les années ci-dessus évoquées furent dépourvues de problèmes et d'injustices, mais au moins y avait-il un État et des institutions à l’œuvre, incarnés par des hommes politiques, que nous ne commettrons pas l'erreur de penser en tous points irréprochables, mais aimant leur pays, osant, pour ceux qui l'étaient, se dire catholiques et entrer, devant les caméras, dans une église, ayant une autre dimension, une autre vision géopolitique, une autre connaissance historique et culturelle, que le personnel actuel dont la plus grande qualité est semble-t-il la fierté d'être lamentable et dont il y a soixante ans seulement le plus grand des destins eût été de remplir les poubelles de l'Histoire, qui seront aussi de ce fait le destin des peuples ne voulant renoncer à les suivre, ce qui ne sera finalement que justice : le suffrage universel nous assure en effet que la trahison et la médiocrité des gouvernants ne saurait perdurer sans la lâcheté et la faiblesse des peuples. Mais qui hier entendit les voix de de Gaulle, de Malraux, de Couve de Murville, de Genevoix, de Mauriac, qui hier vit une télévision naissante amener au salon Homère, Balzac, Hugo, Dumas, Eschyle, et même les Évangiles, n'a nul besoin de mes propos pour prendre la mesure de la dégringolade, de la déchéance, de la déliquescence.
Que non seulement la France mais avec elle une grande part de l'Occident nourrissent quelque inquiétude à la perspective d'ajouter sous peu une ligne à la liste des civilisations disparues et de voir leurs territoires soumis à d'autres mœurs et leurs peuples courbés sous le joug de la charia ou de la technologie transhumaniste est une angoisse fondée. Mais nous n'éviterons rien d'un futur plus assuré et plus proche que nous pourrions le croire en cultivant avec une constance d'âne un déni qui confine au suicide, ou, tout déni rejeté et les yeux dessillés, en rejetant sur l'autre les malheurs dont nous sommes seuls responsables, alors qu'à l'homme lucide doit s'imposer cette évidence : notre civilisation ne recule pas parce que l'islamisation et le transhumanisme avancent, ce sont ces derniers qui avancent parce que notre civilisation recule.
Ceux qui voudraient accuser le Croissant ou la biotechnologie de tous les maux se trompent : le problème majeur n'est pas ce qu'est l'Islam, auquel nous ne saurions reprocher de vouloir demeurer fidèle à lui-même, ne voyant pour ma part rien de choquant à ce que l'Islam veuille islamiser ; le problème majeur n'est pas ce qu'est la Science, à laquelle nous ne saurions reprocher de vouloir demeurer fidèle à elle-même, soit se consacrer à d'incessantes recherches qu'elle ne peut interrompre puisque là se situe sa raison d'être ; le problème majeur n'est même pas ce qu'est le monde des affaires, auquel nous ne saurions davantage reprocher de toujours chercher à prospérer, quitte pour cela à investir sans état d'âme dans les nouveaux créneaux de la biotechnologie, puisque telle est sa nature.
Le problème majeur est ce que nous ne sommes plus, pour avoir renoncé à tout ce que nous étions, en deux mots : une Civilisation Chrétienne. C'est parce que méthodiquement, voire même en s'en faisant fierté brandie comme un étendard dans nos livres d'Histoire, fut mené un combat contre notre propre religion fondatrice, nous désarmant ainsi nous-mêmes de notre Verticalité structurante par ce reniement de notre Transcendance, combat constituant donc purement et simplement un suicide civilisationnel, que nous déroulâmes le tapis rouge et le déroulons encore à ceux qui ne peuvent prospérer que par notre disparition.
Car l'islamisme progresse par la négation de toute Transcendance autre que la sienne ; le transhumanisme et son tentacule sociétal le wokisme progressent par la négation de toute Transcendance.
Nous avons par conséquent grand ouvert les portes au premier comme au second, en ayant depuis quelques siècles activement souhaité ou passivement accepté que fût méthodiquement extirpée de notre société, de nos mœurs, de notre morale, de nos existences, notre propre Transcendance fondatrice. Nous avons brisé l'Axe de notre civilisation, dont seul le maintien eût pu lui éviter l'imminent effacement.
Nous n'avons donc aucun droit à pleurer de voir d'autres venir cultiver les champs que nous avons abandonnés. L'Islam en voyant en nous des infidèles parce que nous n'épousons pas sa foi n'a par ce jugement pourtant peu nuancé qu'une vision parcellaire de notre condition, et finalement bien en dessous de la vérité, car infidèles, nous le sommes, d'abord à nous-mêmes, à tous ceux qui élevèrent par la patience et dans la douleur les murs porteurs de notre civilisation millénaire et qui la firent rayonner, à tous ceux dont le sang abreuva les sillons des défaites et des victoires afin qu'elle ne cessât point d'exister, à tout ce que nous avons abandonné et que nous aurions dû défendre et protéger, et donc finalement infidèles à nos descendants auxquels nous ne léguerons que les décombres de ce qui fut le sanctuaire dont nous avions hérité.
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